Mulberries clafoutis
Sur les bords du Mekong, des enfants jouent, sautent, pêchent. Les bateaux de bois jaunes, verts ou bleus semblent amarrés pour une éternité. Moyen de transport de substitution car le bus de 9 heures n'existait pas ce jour-là, le bateau qui relie la frontiere Thai à Luang Prabang, boat-people à touriste, ne part que lorsqu'il est aux 6/4 plein et ralie sa destination en deux jours.
Buckley, Archive, Nico et quelques autres dans les oreilles, les yeux rivés sur les berges, il n'est finalement pas si difficile de faire abstraction de mes congéneres assoiffés et braillards, et de laisser la magie de ce fleuve m'imprégner , pour me laisser dans un état de contemplation mélancolique finalement bien agréable. Car ce paysage est hors norme. Les maisons perchées sur les collines au milieu d'une végétation luxuriante, les buffles qui paissent dans les prés, lui donnent un air paisible et ancestral, les rochers et les plages au milieu desquels le bateau louvoie, un air marin.
Plus au sud, la Nam Song, sa petite soeur, serpente au milieu d'un paysage majestueux parsemé de pitons rocheux recouverts d'une végétation ici aussi exubérante.
Mais sur cette rivière tranquille, déambulent, assis sur des chambres à air de camion, vêtus d'un simple maillot de bain et d'un T-shirt humide, une horde de touristes abiérés. Ils passeront plus de temps dans les bars qui jalonnent leur trajet que sur l'eau, à boire et danser au son d'une musique dont le niveau sonore, inversement proportionnel à leur quotient intellectuel, n'a rien à envier à celui d'un aéroport international.
Tout en prétendant développer le pays puisqu'ils font profiter de leur argent les quelques laotiens qui ont créé les bars. Comment peut-on être aussi aveugle et égoiste ? Comment ne s'aperçoivent-ils pas qu'ils transforment le pays en ce qu'il y a de pire dans le tourisme, à l'image de ce qu'il c'est produit en Thailande ?
Comment est-il possible qu'aucun d'entre-eux ne ce soit demandé ce que pouvaient bien en penser les centaines de Laotiens obligés de subir leurs loisirs tapageurs ? Car la plupart ne profitent que de leur musique, du milieu de la journée au coucher du soleil, et rejettent avec force l'idée et le tumulte de cette activité qui encombre leur village.
A quelques mètres du premier bar à cons, la Mulberry Organic Farm prospère, réussissant à préserver son activité à défaut de sa tranquillité. Elle aussi a été créée par un laotien. Mais, elle, profite aux locaux qui y travaillent, qui de ramasser les mures ou leurs feuilles, qui de les transformer en confiture, thé, vin, voire en milkshake, qui de fabriquer quelques fromages de chèvre. Les revenus permettent de financer des projets qui visent à aider les villageois.
Et au sein de cette ferme gravitent d'autres touristes, aidant pour quelques temps cette entreprise, à mille lieues de ces abrutis en caleçon. Nombre de routards de mon espèce s'arrètent ici afin d'aider, par exemple, à la construction d'une maison, en boue, et écolo, cela va sans dire.
J'étais venu ici pour ne pas retrouver ma lassitude de touriste solitaire au long cours, travailler aux champs et plus près de la population. Si ce n'est pas ce que j'y ai fait, si mes acolytes (Sarah, Nico, Peter, Kahlyn, et d'autres), ne sont pas laotiens, qu'importe. L'expérience en valait la peine. J'y ai appris à monter un mur en brique de boue, à le peindre à la main avec cette même matière, à fabriquer une mosaïque au sol, en forme de feuille de murier, évidemment, et même à traire une chèvre - à mon âge, il était grand temps !
Et quoi de mieux finalement, qu'un petit tour en cuisine pour mélanger un tant soit peu les cultures laotiennes et françaises ? J'ai donc le plaisir de vous annoncer la naissance du clafoutis à la mulberry laotienne, fruit d'une expérience culinaire (réussie vraisemblablement) menée par Nicolas et moi-meme. Voir l'oeil intrigué et quelque peu apeuré des jeunes cuisinières laotiennes devant la manière de cuisiner "à la française" est déjà un régal en soit !
M'arrêter quelques jours dans un tel un endroit est une première approche d'un voyage plus actif et enrichissant. Alors, je n'ai pas la prétention de valoir mieux que les crétins sus-cités (quoi que) ; chacun est libre d'utiliser son temps à sa guise. Ma préoccupation premiere était finalement bien égoiste, mais le résultat certainement plus utile que si j'avais descendu cette riviere ivre-mort.
Pourtant, le paradoxe du voyageur me poursuit encore et je ne suis resté qu'une semaine dans la ferme (et raté Santa Claus !). Me voilà à Vientiane, tranquille capitale du pays, et je regrette un peu de n'être pas resté un peu plus longtemps. Je n'ai pas vraiment envie de la visiter. Alors, petit cours de cuisine, forcément, avant de la quitter, sauna et massage..Et tout va mieux !
A bientot !